Le Forum des Alternatives Maroc, association de défense des droits humains, est issu de, s’est formé dans et a accompagné le processus des mouvements sociaux. Il inscrit ses actions dans la mouvance des mouvements sociaux, il est impliqué dans le processus des Forums sociaux tant à l’échelle nationale que régionale et mondiale. Il trouve ses racines autant dans la culture des luttes contre les colonisations, que la lutte pour la démocratie et les luttes sociales contre l’exclusion, la marginalisation et pour la défense des droits humains. Il s’est assigné comme mission de catalyser les articulations, les convergences et les regroupements au sein du mouvement associatif et des mouvements sociaux et citoyens dans une perspective de luttes pour la démocratie, contre le néolibéralisme et pour faire face aux grands défis de notre époque par l’émergence d’une force agissante, de propositions, et d’un contre pouvoir.
La période que nous vivons est marquée par l’explosion des révoltes et révolutions populaires dans la région et l’émergence des mouvements des indignés en Occident ; révoltes initialement portées par une jeunesse, hommes et femmes, usant de nouvelles méthodes de communication, usant de formes organisationnelles qui ne nous sont pas étrangères au niveau du mouvement social, faisant fi de la peur cumulée de générations en générations du fait de la terreur et de la violence de pouvoirs autoritaires en place depuis plus de quatre décennies.
Malgré la crise financière qui témoigne de la crise du capitalisme néo-libéral et de ses choix antisociaux, les effets néfastes du néolibéralisme continuent à peser et pèseront lourdement sur la détérioration des conditions de vie des couches pauvres, s’étendant aux couches moyennes. Nous vivons l’accentuation des inégalités sociales, le changement et l’intensification des formes d’exploitation et de domination, les repositionnements des blocs de pouvoir régional et local et la reproduction de nouvelles formes d’exclusion et de discrimination.
La situation actuelle nécessite, non pas une révision de nos choix fondamentaux pour l’édification d’une société et d’institutions démocratiques, mais une révision de nos priorités, de nos méthodes de travail, de notre philosophie organisationnelle et de nos alliances.
Onze mois après l’étincelle tunisienne et l’embrasement de la région, entre des choix de luttes qui diffèrent d’un pays à l’autre de la région, entre le choix pacifique et le choix des armes, entre les choix de réformes et le choix de la répression et de crimes contre l’humanité, entre les choix démocratiques et le conservatisme ; le mouvement social est appelé à faire des choix clairs et sans ambiguïté dans le respect des principes démocratiques qui sont les siens.
Force est de constater aujourd’hui, à la lumière de l’issue des révoltes tunisiennes, égyptienne, libyenne et marocaines, que :
- Les élections qui ont suivi le dénouement des révoltes dans la région ont consacré la victoire des partis islamistes en Tunisie, au Maroc et en Egypte. La première déclaration du Conseil National Provisoire en Libye a été d’affirmer le retour à la chariaâ, à la loi islamique. C’est là le premier paradoxe des révolutions et révoltes dans la région. Elles ont commencé par une faible participation des groupes islamistes et ont été essentiellement le fait de nouveaux mouvements sociaux qui ont été au centre des luttes des populations pour la justice sociale, la dignité et la liberté durant les 3 dernières décennies. C’est d’autant plus paradoxal que les mouvements islamistes ont toujours refusé, pour la plupart, de reconnaître les principes de la démocratie y compris la démocratie institutionnelle et la participation aux élections. Ils ont montré leur capacité d’adaptation à la démocratie représentative comme instrument de régulation du pouvoir politique.
- La limite de la démocratie représentative par l’abstention de franges importantes de la société, particulièrement jeune.
- La faiblesse de l’ancrage social des partis politiques démocrates.
- La fragmentation du champ politique qui ne contribue nullement à redonner confiance aux citoyens et citoyennes, aggravée en cela par des alliances incohérentes et des programmes confus et sans démarcation majeure d’une formation politique à l’autre.
- Des réformes inachevées qui témoignent d’une résistance forte au changement.
- Un mouvement social marqué par la fragilité, l’isolement, la fragmentation et la division.
- Un mouvement social qui ne parvient pas à générer des formes d’organisation stables et forcément, qui a été supplanté dans la rue par des groupes partisans et par des projets de partis politiques d’obédience majoritairement islamistes qui, contrairement au mouvement social qui appelle au changement sans briguer le pouvoir, vise la prise du pouvoir.
- L’interventionnisme occidental n’a fait que renforcer cette tendance qui repose en plus sur une conception particulière de l’Occident sur « L’intégration politique de mouvements islamistes par le biais d’élections démocratiques ».
Face à ces constats, nos positions, nos choix restent les mêmes et nous les réitérons en tant que composante du mouvement social et des défenseurs des droits humains.
Le mouvement social impliqué dans le processus du Forum Social Mondial, ainsi que le mouvement associatif démocrate qui envisagent de mettre au centre de leurs préoccupations et de leurs stratégies les questions liées aux révolutions et révoltes au Maghreb et au Machrek, sont confrontés à ces paradoxes et devraient engager des débats de fond pour des réponses et des pratiques à même de surmonter ces paradoxes et oeuvrer concrètement pour un autre monde.
S’il est des positionnements à réaffirmer, c’est :
- Les mouvements sociaux, pacifiques, ne sont pas des partis politiques. Les mouvements sociaux n’étaient pas dans la rupture mais dans une dynamique de changements pour des intérêts de groupes spécifiques, tout comme dans une dynamique de changement des cultures et des systèmes de représentation pour leur donner un contenu démocratique. Il s’agissait de tester et de consolider des alternatives de nouvelles sphères publiques et politiques, au sein des systèmes politiques existants.
- Les urnes ne sont pas la démocratie mais une forme d’expression qui ne garantit pas forcément la démocratie, ni le respect des résultats des urnes. Le mouvement social durant toute cette décennie s’est fixé comme objectif de développer un nouveau concept et une nouvelle pratique de la démocratie et particulièrement la légitimité de modèles alternatifs à la démocratie parlementaire.
- Nous ne pouvons dire que la démocratie profite aux adversaires de la démocratie. La démocratie est sans restriction aucune, la reconnaissance de la pluralité et de la compétition des forces en présence, en toute liberté et transparence pour la légitimité populaire.
- La victoire des islamistes ouvre une nouvelle ère de batailles acharnées pour les libertés publiques, collectives et individuelles.
- La bataille et le défi pour l’ancrage social et l’inclusion des nouveaux mouvements sociaux devraient être une des préoccupations fondamentales du mouvement alter mondialiste et ce, d’autant plus que le mouvement des révoltes au Maghreb particulièrement a été incapable d’être un espace d’inclusion et d’articulations avec les mouvements de contestations sociales, du fait qu’ils sont perçus comme des mouvements corporatistes qui affaiblissent les revendications politiques !
Nos objectifs restent fondamentalement les mêmes, à savoir :
- La défense des droits Humains et la primauté du droit international sur les droits nationaux,
- L’égalité des femmes et des hommes,
- L’exercice de la démocratie et de la pleine citoyenneté,
- La séparation des pouvoirs et la garantie de l’indépendance de la justice,
- La séparation du politique et du religieux,
- La participation des citoyennes et citoyens à la définition du contenu des réformes économiques, sociales, culturelles et politiques et de toutes les politiques publiques,
- La gestion transparente et la protection des biens publics contre la dilapidation
- La lutte contre l’impunité en matière de violations des Droits Humains et des crimes économiques,
- L’accès des citoyennes et citoyens aux services publics de qualité,
- Le droit à la santé, au logement, à l’enseignement, à la formation et l’accès à l’information,
- La mise en place d’un système éducatif favorisant une recherche scientifique,
- L’ouverture des frontières et le droit à la libre circulation des personnes dans l’espace maghrébin et euro méditerranéen,
- L’intégration économique de la région du Maghreb, ainsi que le partage équitable des richesses produites,
- Le respect des droits des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile
- La paix et la sécurité collective, et contre la militarisation de la région et dans le monde.
Il s’agit à l’issue de ce débat de confirmer, d’infirmer, de corriger ou d’enrichir les axes prioritaires de la stratégie à mettre en place pour les mois et les années à venir. Les axes s’articulent comme suit :
- L’axe institutionnel : la réforme constitutionnelle est restée limité et inachevée et n’institue pas les bases constitutionnelles d’un Etat démocratique en termes de séparation des pouvoirs, de séparation de la religion et de l’Etat, de la reconnaissance explicite de la primauté du droit international, la reconnaissance explicite des libertés individuelles et de la liberté de conscience.
- Les lois et décrets d’application : la réforme constitutionnelle ouvre plus de 20 possibilités de batailles sur les lois d’application et particulièrement
- Sur la question de l’initiative populaire, l’usage de la pétition et la démocratie participative.
- Sur les libertés collectives et la liberté d’expression, de pensée, de création artistique et des libertés individuelles
- Sur l’égalité des hommes et des femmes sans réserve tant sur le plan économique, que social, politique et culturel.
- Les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux du fait de la centralité de la question sociale dans le changement démocratique et les enjeux politiques de la répartition équitable et la lutte contre les inégalités sociales, le népotisme, l’économie de rente, la corruption et la privatisation des biens et richesses publiques à de fins personnelles.
- La mobilisation pour l’émergence d’une force démocratique associative, construite sur des valeurs et des objectifs partagés pour constituer une véritable force de plaidoyer, une force de proposition, et une force d’actions et d’expérimentation d’alternatives au système libérale. Faire émerger un contre pouvoir, salutaire du processus renouvelé de la démocratie.
Face à ce nouvel ordre régional et mondial, des hommes et des femmes, à travers la planète, expriment, à travers les forums sociaux locaux, régionaux thématiques et mondiaux les mobilisations sociales et les aspirations des « no vox ».
C’est pourquoi, nous continuerons à privilégier ces espaces comme des lieux de convergence des luttes des mouvements sociaux qui « visent à faire prévaloir, comme nouvelle étape de l’histoire du monde, une globalisation solidaire qui respecte les droits de l’homme universels, ceux de tous les citoyens et de toutes les citoyennes de toutes les nations, et l’environnement, soutenue par des systèmes et institutions internationaux démocratiques au service de la justice sociale, de l’égalité et de la souveraineté des peuples, pour « Un autre monde » et il est possible et à notre portée.