Tentative d’interdiction du Forum syndical maghrébin : atteinte à la démocratie

A la veille du premier Forum syndical maghrébin qui devait avoir lieu dans la Maison des Syndicats les 14 et 15 Mai à Alger, les autorités algériennes ont ordonné la fermeture de cette salle que le SNAPAP, syndicat autonome, membre du Comité de Suivi du FSMaghreb loue pour ses activités depuis des années. Après avoir interdit les rassemblements dans les lieux publics, les autorités algériennes vont encore plus loin cette fois-ci en interdisant les rencontres dans des salles privées.

Cette décision, justifiée par « l’organisation de rassemblement et réunion publique sans autorisation au préalable », « trouble de l’ordre public » ou encore « transformation du local en un lieu de rencontres des jeunes filles et jeunes hommes venus de différentes régions du pays », démontre clairement la volonté des autorités d’interdire purement et simplement la tenue de ce forum. Elle vise à réduire de plus en plus les espaces d’expression, pourtant peu nombreux en Algérie, en entravant l’activité syndicale autonome, la liberté d’expression et plus largement la démocratie.

Malgré cette tentative d’intimidation, les organisateurs ont maintenu le forum qui s’est finalement tenu au siège du FFS (parti politique des Forces Socialistes). Des militants d’Algérie (SNAPAP, CLA), du Maroc (ODT, CDT, UGTM, FDT), de Tunisie (UGTT), de Mauritanie (UGTM, CGTM), mais aussi d’Egypte, du Sénégal, de France et d’Italie se sont réunis pour aborder les thèmes de l’action syndicale maghrébine face à la crise économique mondiale, le rôle des mouvements syndicaux dans le soutien à la société civile et mouvements sociaux pour l’instauration de la démocratie ou encore celui des libertés syndicales, ô combien d’actualité.

Les participants ont échangé sur leurs différentes expériences, leur mode d’organisation et les difficultés auxquelles ils font face. En Egypte, il est impossible pour les organisations syndicales de disposer d’un local, en Tunisie, les syndicats autonomes ne sont même pas reconnus et en Algérie, la liberté d’expression consacrée par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme est loin d’être réelle.

Ces organisations qui continuent d’exister et de s’exprimer, malgré la répression forte dont elles sont victimes, constituent un élément fondamental du processus de démocratisation et de développement de la société civile.

A l’issue de ce forum, les participants ont adopté la déclaration suivante :

Déclaration

Nous, syndicats et organisations de la société civile, présents au premier forum syndical maghrébin tenu les 14 et 15 mai 2010 à Alger (Algérie), déclarons notre satisfaction quant à la réussite de ce forum qui a connu une forte présence de plusieurs organisations syndicales et civiles, et des discussions riches et importantes.

A cet effet, nous saisissons cette occasion pour :

1. Dénoncer la décision arbitraire relative à la fermeture de la maison des syndicats d’Alger (Algérie) ;
2. Se solidariser d’une manière inconditionnelle avec les travailleurs licenciés victimes de violations des droits et libertés syndicales, notamment à Redeyef en Tunisie, à Sidi Ifni au Maroc, avec les cheminots à Alger et les dockers en Mauritanie ;
3. Dénoncer les violences, discriminations et harcèlement à l’encontre des femmes de Hassi Messaoud en Algérie ;
4. Soutenir les revendications légitimes des femmes grévistes de la faim, à Rabat, Maroc, pour le droit au regroupement familial ;
5. Réclamer la levée de l’état d’urgence en Algérie et la libre circulation des peuples maghrébins ;
6. Réclamer le respect de la convention internationale qui interdit et criminalise toutes discriminations à l’égard des femmes.

Nous soutenons la proposition des syndicats marocains concernant la tenue de la 2ème session du forum syndical maghrébin au Maroc et de la 3ème session en Mauritanie, et de la réunion syndicale en Tunisie le 5 décembre 2010 pour préparer le Forum Social Mondial de Dakar, en janvier 2011.

Vive la solidarité syndicale maghrébine

ALGER - 13, 14 et 15 MAI 2010

A l’issue de ce forum, les participants ont adopté la Charte du Forum syndical maghrébin suivante :

Charte

En application de la Charte de Porto Alegre, des principes du Forum social mondial, tenu du 25 au 30 Janvier 2001, à Porto Alegre (Brésil) ;

Suite au Forum social maghrébin, tenu à Bouznika (Maroc) en 2008, en marge duquel, le Forum syndical marocain a été créé comme premier pas pour la création d’un Forum syndical maghrébin ;

Suite à l’appel lancé lors du Forum syndical, tenu à Mohammedia (Maroc) les 25, 26 et 27 Juin 2008, à l’initiative du Comité de Suivi du FSMaroc et auquel ont participé des syndicalistes d’Algérie, Mauritanie et Tunisie ;

Suite à la décision prise lors du Forum social maghrébin, tenu à Bouznika les 5, 6, et 7 Mars 2010, d’organiser un Forum syndical maghrébin en Algérie, les 14 et 15 mai 2010, sous le slogan : « Pour que la vérité sur l’assassinat du martyr Farhat Hashad jaillisse » ;

Et à l’ombre des mutations mondiales visibles dans la mondialisation capitaliste et l’émergence de blocs économiques, dans lesquelles des entreprises multinationales occupent les premières places, contrôlant l’économie de tous les continents, et de l’étendue des conséquences négatives sur la région du Maghreb par l’exploitation des droits de la classe ouvrière et la soumission des services publics à la logique du marché, au lieu d’adopter la globalisation de la solidarité humaine,

Nous adoptons la Charte suivante :

Principes généraux

• Le Forum syndical maghrébin, en tant que composante du Forum social maghrébin, est un espace ouvert à tous, avec un débat démocratique, un dialogue libre et des échanges de connaissances et d’expériences ;
• Le Forum syndical maghrébin invite toutes ses composantes à contribuer à l’émancipation et la libération de la société et à la mise en place d’une démocratie ;
• Le Forum syndical maghrébin est aussi un espace autonome libre, non gouvernemental, non partisan, qui coordonne, en réseau, les syndicats et les organismes intéressés par les sujets concernant les travailleurs et les mouvements œuvrant dans le domaine social, en adoptant des valeurs de base dans l’union et la solidarité sur le terrain par le combat afin de construire une autre région maghrébine possible ;
• Le Forum syndical maghrébin est un espace qui stimule ses composantes à coordonner la lutte contre l’emploi précaire, pour l’amélioration des relations de travail, pour la lutte contre le chômage et l’ouverture du fonds de compensation de la perte de l’emploi et pour défendre les droits fondamentaux de la dignité humaine ;
• Le Forum syndical maghrébin fait appel à ses composantes à faire face à l’économie néolibérale et à la mondialisation sauvage, et à s’opposer à toute vision globale de l’économie, du développement, de l’histoire et de la violence comme moyen de contrôle de la société ;
• Le Forum syndical maghrébin rejette toutes formes de violation des droits et des libertés syndicales et se mobilise pour les défendre ;
• Le Forum syndical maghrébin œuvre pour la création d’un Observatoire de suivi particulier des violations des droits et libertés d’association et des luttes des ouvriers ;
• Le Forum syndical maghrébin invite les différentes composantes à trouver les voies et moyens afin de créer une région du Maghreb où la paix, la démocratie, la prospérité, la solidarité, la coexistence et le respect de la diversité culturelle seraient le point commun et d’assurer la stabilité de la région ;
• Le Forum syndical maghrébin appelle toutes les composantes de l’Union du Maghreb à s’opposer à toutes formes de violence contre les femmes et à adopter une approche sur le genre social dans la pratique syndicale ;
• Le Forum syndical maghrébin s’emploie à l’organisation de réunions périodiques dans les différentes régions du Maghreb ;
• Le Forum syndical maghrébin refuse tous les investissements qui ne prennent pas en considération les dimensions écologiques, environnementales et de développement durable, la protection sociale et les droits des travailleurs ;
• Le Forum syndical maghrébin rejette toutes formes d’oppression et de tyrannie subies par les peuples.